Insularités : au fil des voix, au fil de l’eau

Vues d’une action performative avec Claire Timmermans à La Grave, Île-du-Havre-Aubert, 2022.

ESPAÑOL

Pendant trois semaines, en mai et juin 2022, Estela López Solís a réalisé une résidence de recherche et création à AdMare, Centre d’artistes en art actuel des Îles-de-la-Madeleine. Lors de cette résidence, l’artiste a développé un rapport au territoire à l’échelle de la marche, de manière à tisser des liens avec des gens qu’elle a rencontrés sur son chemin. Elle invita ces personnes à des rencontres en groupe ou à des parcours avec elle en tête-à-tête, afin d’explorer ensemble le territoire madelinot ainsi que les récits historiques, familiaux et personnels qui imprègnent ces îles. Lors de ces moments de partage se sont dévoilés, par la parole et le récit, des rapprochements et des divergences dans ces expériences d’insularité. Une position d’écoute active envers les gens et d’attention sensible aux qualités des lieux a guidé ces recherches. Nourrie par ces dialogues et munie de matériaux régulièrement employés dans son travail (fils, tissus, papiers, etc.), l’artiste ponctua ces marches, ainsi que d’autres parcours effectués en solitaire, par la réalisation in situ d’actions performatives allant du geste furtif à l’action participative. De ce processus relationnel découlent aussi Journal de bord à ciel ouvert, une intervention graphique/textuelle évolutive dans l’espace public et l’exposition Insularités : au fil des voix, au fil de l’eau, une installation in situ au cœur de l’aéroport des Îles, dans l’espace Colis suspect du centre AdMare.

Marche avec Réjeanne Jomphe à La Butte ronde, Havre-aux-Maisons, 2022. Photo : Antonin Monmart.

L’artiste a demandé à des personnes rencontrées de façon spontanée en marchant à Bassin – localité située sur l’Île-du-Havre-Aubert, où elle logeait dans l’archipel – et à d’autres personnes qui l’ont été présentées « de fil en aiguille », si elles voulaient faire une marche avec elle, l’amener à un lieu avec lequel elles avaient un rapport particulier, significatif. Pendant les marches, l’artiste invitait les participant.e.s à parler du lieu, à raconter l’histoire qui les liait à celui-ci et elle partageait à son tour les résonnances de ces récits sur sa propre histoire. Une intimité partagée s’est tissée. Lors de ces rencontres, l’artiste demandait aussi aux participant.e.s de faire une courte action avec elle, en utilisant des matériaux qu’elle avait apportés (des fils, des cordes, des bribes de papier, etc.). Un geste était posé à deux; un geste qui pourrait s’avérer significatif, rendre visible le lien qui avait été tissé par le dialogue et témoigner du temps partagé. Ainsi, dans la fluidité de ces échanges, une série d’actions performatives a pris forme et a donné lieu à la création de divers objets témoignes.

Au cours de sa résidence, Estela López Solís a aussi réalisé de marches en solitaire lors desquelles elle se tenait « à l’écoute des lieux », portant une attention sensible à leurs qualités. Nourrie par l’ensemble de rencontres, par les récits entendus et par des questionnements sur son propre rapport à ce territoire et à ceux qui l’habitent, elle réalisait des brèves actions performatives spontanées ou furtives, posant des gestes qui répondaient à ce qu’elle observait. Elle entamait ainsi un « dialogue » avec les lieux.

Vues d’une action performative avec Réjeanne Jomphe au pied de La Butte ronde, Havre-aux-Maisons, 2022. Par une suite d’actions réalisées avec des cordes : « partage », « éloignement », « rapprochement » et « accueil », Estela López Solís et Réjeanne Jomphe ont rendu visible le lien qu’elles ont tissé au cours des rencontres pendant les trois semaines de résidence de l’artiste. L’action performative a été réalisée dans la joie et avec un esprit ludique, avant de monter La Butte ronde et d’échanger, entre autres, au sujet des pèlerinages réalisés par des êtres chers desquels elles étaient loin. Photos : Antonin Monmart.
Vue de l’action performative pour la caméra Libérer la parole, réalisée à la plage Sandy Hook, Île-du-Havre-Aubert, 2022. Photo : Antonin Monmart.
Vue d’une action performative réalisée à la plage de la Dune de l’Ouest, Île-du-Havre-Aubert, 2022.

COMO EL MAR, ALEJARSE Y REGRESAR
(COMME LA MER, S’ÉLOIGNER ET REVENIR)
Rencontres, Le Verger Poméloi, Bassin

Généreusement accueillie pour l’occasion par l’entreprise locale Le Verger Poméloi dans ses installations, l’artiste a réalisé des rencontres avec deux groupes de travailleurs et travailleuses saisonier.ère.s venu.e.s aux Îles pour travailler dans la transformation du homard. Elle partageait avec les participant.e.s les origines mexicaines et l’espagnol comme langue maternelle. Autour d’une grande table, le dialogue s’est tissé inspiré par des mots écrits sur des petits « îlots » de papier qu’y étaient déployés. Il était question, entre autres, d’échanger au sujet d’expériences individuelles de migration et de rapports au territoire madelinot, à la lumière des histoires de vie singulières des participant.e.s. Il s’agissait aussi de réfléchir autour de ce qui lie et ce qui sépare les gens dans ce genre d’expériences. 

Como el mar, alejarse y regresar (Comme la mer, s’éloigner et revenir), rencontre avec un groupe de travailleur.euse.s saisonnier.ère.s, Le Verger Poméloi, Bassin, 2022. Photos : Yoanis Menge.

JOURNAL DE BORD À CIEL OUVERT
Intervention graphique/textuelle évolutive, Bassin

Au cours de sa résidence aux Îles-de-la-Madeleine, l’artiste a réalisé une série d’interventions sur le mur d’un entrepôt situé à Bassin. La famille Gallant, originaire des Îles et propriétaire de l’immeuble, a été approchée par l’intermédiaire du centre d’artistes et a généreusement accepté que l’une des surfaces de leur bâtiment soit utilisée comme un grand tableau noir par l’artiste. Sous l’idée d’un Journal de bord à ciel ouvert, elle a partagé périodiquement, avec les voisin.e.s du lieu et avec les passant.e.s, des mots et des réflexions inspirant sa recherche. Elle a ainsi inscrit dans l’espace public ce qui d’habitude reste consigné dans l’intimité des notes du calepin de l’artiste.

Vues de l’intervention Journal de bord à ciel ouvert, Bassin, 2022.

INSULARITÉS : AU FIL DES VOIX, AU FIL DE L’EAU
Exposition, espace Colis suspect, Aéroport des Îles-de-la-Madeleine

L’installation Insularités : au fil des voix, au fil de l’eau, présentée dans l’espace Colis suspect du 11 juin au 31 octobre 2022, évoquait des fragments d’images trouvées par l’artiste en parcourant l’archipel : les eaux profondes et les bleus infinis de la mer, des lacs et des étangs; le mouvement des bateaux et des cerfs-volants; la légèreté de l’écume des vagues et des nuages; etc. Des fils dessinaient des lignes qui participaient de cet univers aquatique mais qui faisaient aussi écho, par leur fragilité, aux liens émotionnels évoqués par les phrases et les mots qu’ils raccordaient. Cette écriture fragmentaire témoignait de certaines des notions et des questionnements soulevés lors des rencontres menées par l’artiste avec les participant.e.s au projet. 

Vues de l’installation Insularités : au fil des voix, au fil de l’eau, espace Colis suspect, Aéroport des Îles-de-la-Madeleine, 2022. Photos : Antonin Monmart.

Autour de quarante personnes venant d’horizons très différents et ayant des rapports très variés avec le territoire madelinot – par exemple, de gens enracinés aux Îles depuis de multiples générations et des travailleurs et travailleuses saisonier.ère.s mexicain.e.s qui partaient en souhaitant y revenir – ont généreusement partagé leurs expériences de vie et leurs expériences des Îles dans le cadre de ce projet.

L’artiste remercie les participant.e.s au projet : Réjeanne Jomphe, Jacques Grenon et la Famille Bergeron, Hélène Beaulieu, Dorine Renaud, Kim Béchard, Samuel Dupont-Fafard, Guylaine Coderre, Claire Timmermans, Adrián Aguirre, Azalea, Arelis Jiménez Dominguez, José Ever Izquierdo de la Cruz, Tomás, Miguel Pacheco, Sergio Higareda, Yazz, Fabiola Jiménez, Rosa Luciano León, Paola Andrea Menacho Sierra, Victoria Vázquez Peña, Guadalupe Vázquez Peña, Denia Edith, Leyvi Araceli, Martín Antonio Sánchez, Selene Sánchez Ávila, Vilma Pérez, Eugenia Cruz Cisneros, Fidelmar Corona Ayala et Rafael Trinidad Martínez. Elle remercie aussi monsieur Léonard Gallant et madame Caroline Gallant, pour leur généreuse collaboration; Maxim Chevarie-Davis, pour avoir facilité les rencontres avec les travailleurs et travailleuses saisonier.ère.s; Mireille Vachon et Jade Marchand pour les riches échanges et La Renaissance, le Verger Poméloi et La réCréation pour leur accueil de l’artiste et du projet. L’artiste remercie aussi France Gagné, Estela Solís y Díaz et Patrick Beaulieu pour leur soutien. Elle remercie très particulièrement l’équipe de AdMare.

Des images photo et vidéo, des enregistrements audio, le récit des rencontres et les objets issus des actions performatives témoigneront ultérieurement de la recherche entamée lors de cette résidence.